Michel JUFFÉ et Vincent SIMON
Extraits de Vlad le destructeur
L’idéologie politique de Vladimir Poutine est impérialiste. Elle est dominée par une vision de l’histoire de la Russie et de sa grandeur. Les motivations économiques apparaissent secondaires. Vladimir Poutine est obnubilé par un passé en grande partie mythifié. Il revendique la restauration d’un monde russe, un « Rousskij mir », constitué des espaces marqués historiquement par la russophonie et l’orthodoxie. Cette idéologie est portée par un mode de gouvernement autocratique appuyé sur une cour et sur l’armée.
Les discours du chef du Kremlin révèlent des angoisses d’autocrate et une vision obsidionale d’un monde russe menacé de déclassement car encerclé par des ennemis mortels. Les États-Unis et les pays de l’Union européenne regroupés dans l’OTAN, promoteurs du modèle de démocratie libérale, constituent la principale menace dont il faut se préserver par des frontières épaisses.
Elles incluent des États tampons liés à Moscou. Cette hantise du déclin explique en partie une erreur d’appréciation du pouvoir russe qui représente l’Ukraine d’aujourd’hui comme la petite Russie de l’époque des Tsars. Le livre de Nikolaï Danilewski, La Russie et l’Europe, publié pour la première fois en 1871, présente le panslavisme comme une théorie d’apparence scientifique et comme une nécessité historique inévitable. Il qualifie « l’Occident pourri » et sa civilisation comme une maladie mortelle pour le corps russe.
Selon Danilewski :
« Pour tout Slave — Russe, Tchèque, Serbe, Croate, Slovène, Slovaque, Bulgare (je voudrais ajouter aussi Polonais !) — après Dieu et la Sainte Église, l’idée du slavisme devrait être la plus élevée, plus élevée que la liberté, la science, l’instruction, plus élevée qu’aucun bien de ce monde, parce qu’un Slave ne peut obtenir tout cela sans la réalisation de l’idée du slavisme, sans l’existence d’un slavisme indépendant au point de vue intellectuel, national et politique ; au contraire, tous ces biens ne peuvent être obtenus que comme résultat de cette indépendance ».
Dans l’ouvrage de Danilewski la Russie est le fer de lance du panslavisme. Ainsi la Lituanie, la Russie-Blanche (Biélorussie) et la Petite-Russie (Ukraine) sont des pays « russes ». La Russie ne les a « pas conquises, parce qu’on ne peut conquérir ce dont on est propriétaire, ce qui a toujours été tel et ce que tout le peuple russe a toujours considéré comme sien ». « Les provinces Nord-Ouest et Sud-Ouest sont des pays russes au même titre que Moscou elle-même. » Poutine emprunte notamment à Danilewski sa conception d’un ensemble russe fondé sur la langue
« Chaque race ou « famille » de peuples qui se caractérise par une langue particulière ou par un groupe de langues si proches que leur affinité « se sent » directement, sans études « philologiques » (!), constitue un type de civilisation particulier, si cette race possède assez d’éléments intellectuels pour se développer et si elle est sortie de l’enfance ».
Cette famille de peuples unis par la langue forme une civilisation dont l’expression politique s’inscrit dans une fédération.
« La civilisation propre à chaque type de civilisation n’arrive à son plein développement, à la diversité des phénomènes et à la puissance, que lorsque ce type se compose de différents éléments ethniques qui, sans s’absorber l’un l’autre au point de vue politique, mais ayant au contraire leur indépendance assurée, constituent une fédération ou un système politique des États.»
Danilewski affirme que le type slave dispose de caractéristiques psychiques qui le distinguent de l’Europe « germano-romane ».
« L’Europe et sa civilisation sont caractérisées par l’élément d’individualisme, qui n’existe pas dans le type slave. Le signe caractéristique de la civilisation individualiste de l’Europe occidentale, c’est la violence (Gewaltsaumnkeiz) ; celle-ci se manifeste par le fait de vouloir imposer l’Église occidentale comme universelle, au moyen de la propagande des principes de cette Église par le feu et par le sang pendant les Croisades, par la lutte de l’Inquisition contre les protestants, par le caractère destructeur de la colonisation européenne et par la révolution comme moyen de réformes sociales. Il n’y a rien de semblable dans le slavisme qui, par ses dispositions, par ses sentiments, par les travaux de sa pensée, par ses institutions, etc., est anti-individualiste, porté à la communauté et pacifique dans ses tendances ».
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